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Catholiques ou non, l'écologie

Catholiques ou non, l’écologie peut-elle rassembler ?...

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Catholiques ou non, l’écologie peut-elle rassembler ?

 

 

Cinq ans après la publication de l’encyclique « Laudato si’ », seize personnalités françaises intéressées par l’écologie, catholiques ou non, rencontrent le pape François à Rome ce jeudi 3 septembre. Cette rencontre vise ouvertement à créer des liens entre des hommes et des femmes qui pourraient se retrouver sur l’urgence écologique après avoir été longtemps en désaccord sur le plan politique. 

 

Quel est le point commun entre le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, et la médiatique adjointe à la mairie de Paris Audrey Pulvar ? La réponse tient en un mot : l’écologie. C’est autour de ce thème qu’un groupe hétéroclite de seize personnes doit rencontrer à Rome, ce jeudi 3 septembre, le pape François.

« La volonté du pape de créer des passerelles avec le monde profane en mettant en avant la protection du vivant sur terre est extrêmement positive », se réjouit la juriste Valérie Cabanes, membre de la délégation, sans cacher son désaccord avec l’Église sur d’autres sujets.

Avant même d’avoir eu lieu, cette improbable rencontre romaine se veut déjà un signe fort : celui que, sur l’écologie, « on peut travailler et dialoguer avec des personnes éloignées de l’Église », selon l’une des chevilles ouvrières de l’événement, catholique cette fois, Raphaël Cornu-Thénard. Découvrant depuis peu les milieux écologistes, le fondateur d’Anuncio et du Congrès Mission a pu rencontrer « des personnes très engagées, admirables d’abnégation », même sans partager sa foi chrétienne. « Appuyons-nous sur elles et essayons de débattre », propose-t-il.

Sympathie mais sans proximité politique

L’écologie ne serait-elle donc plus un « truc de gauchistes » ? Les catholiques français semblent en tout cas moins nombreux à le penser que dans les années 1970, quand ils suivaient avec circonspection la lutte du Larzac à la télévision. Pour le blogueur catholique Patrice de Plunkett (1), ce changement d’attitude en quelques décennies tient d’abord à la mise en évidence de la réalité du réchauffement climatique, mais aussi à la légitimation apportée par l’encyclique Laudato si’ en 2015 : « Soyons écolos, c’est le pape qui le dit ! »

L’écologie, nouvel horizon de l’Église 

Entre une sympathie de principe et une véritable proximité politique, l’écart reste toutefois marqué. Seuls 10 % des catholiques pratiquants ont voté pour Europe Écologie-Les Verts (EELV) aux élections européennes de 2019 (ce parti avait obtenu 13 % des suffrages), alors qu’ils étaient 37 % à choisir La République en marche et 22 % Les Républicains. « L’écologie politique étant née, en France, à gauche, et le catholicisme français étant plutôt ancré à droite, des pesanteurs historiques demeurent », observe Jérôme Fourquet, directeur du pôle opinion de l’Ifop. Une tendance lourde qui fait qu’EELV s’est souvent rapproché de partis comme le PS ou La France insoumise, encore récemment au second tour des municipales. Le vote écologiste, pour de nombreux catholiques ancrés à droite, était encore moins envisageable.

Positions contraires sur les questions sociétales

Principale pomme de discorde : les questions sociétales et bioéthiques, sur lesquelles la plupart des partis écologistes affichent des positions progressistes, voire libertaires. Patrice de Plunkett n’hésite pas à accuser d’incohérence cette frange de l’écologie politique : « José Bové, qui refuse en bloc toute manipulation du vivant, me semble plus cohérent que les écolos qui défendent la biotechnologie de transformation sexuelle ! » Mais pour le théologien Fabien Revol (2), ce libéralisme a, au contraire, des fondements profonds : « La pensée dominante en écologie politique ne reconnaît pas la "nature humaine", ses tenants ne sont par conséquent pas attachés à la défense d’une dignité spécifique à l’homme, au contraire très chère aux catholiques », explique-t-il.

De l’autre côté, nombreux sont les militants écologistes à ne pas mâcher leurs mots contre « l’anthropocentrisme chrétien », en partie responsable selon eux de la dégradation des écosystèmes. « Nulle part le Christ ne parle de l’humanité comme d’une espèce qui domine le monde, or certaines interprétations ont pu amener à ce dogme », déplore Valérie Cabanes, spécialiste de l’écocide, qui se dit reconnaissante au pape François d’avoir « fait descendre l’homme de son piédestal » dans Laudato si’.

Enfin, avoir ou non la foi change bien sûr la perspective sur l’avenir de la planète : « Nous n’annonçons pas de "bonnes nouvelles" : nous allons brûler à petit feu si nous ne faisons rien », lâche Vincent Brousse, adjoint au maire de Limoges et écologiste de la première heure. Un horizon que les chrétiens jugent souvent trop « bouché ». Parmi eux, Marie Valentin-Auzou, en reconversion professionnelle vers le milieu agricole à Lyon, regrette ce manque de place accordée à l’espérance et à la miséricorde dans les milieux écologistes qu’elle fréquente.

Julie Lefort, chercheuse en neurosciences, a, pour sa part, adhéré aux Verts en 2015, après de longues années de scoutisme et l’envie de « prolonger son engagement dans la société ». Pour cette catholique proche de la Mission de France, le parti EELV est avant tout « un lieu de formation intellectuelle ».

L’écologie, forcément intégrale

Or, entre l’Église catholique et l’écologie politique, la trentenaire relève plusieurs convergences : le souci d’inclure tous les êtres humains, y compris les « moins performants », ou encore la conscience du lien entre cause environnementale et justice sociale. Lien souligné par le pape François dans Laudato si’ et qu’approuvent la plupart des militants écologistes, pour qui l’expression d’écologie intégrale (que beaucoup jugent désormais galvaudée) sonnerait presque comme un pléonasme : l’écologie n’est-elle pas forcément intégrale ?

Comme d’autres chrétiens engagés en écologie, Julie Lefort déplore la prudence de l’Église qui invite d’abord selon elle à un engagement individuel ou à l’échelle de petites communautés (écogestes, label Église verte, etc.). « Dénoncer des activités nocives pour le climat, notamment à travers la lutte non-violente, me paraît crucial, mais l’Église n’encourage pas ce type d’actions. »

Patrice de Plunkett, lui, soutient le contraire : « Quand un combat est légitime, en vue du bien commun, la doctrine sociale de l’Église est beaucoup plus ouverte à la radicalité qu’on ne le croit ! » Rappelant que le pape François invite les croyants à s’unir à « tous les hommes de bonne volonté », il estime que s’associer à des non-croyants sur ces sujets relève aussi du témoignage. À l’heure où presque plus personne n’ignore l’importance des enjeux, de nombreux catholiques disent ne pas vouloir « déserter » les lieux de cet engagement.

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Les seize membres de la délégation

Mgr Éric de Moulins Beaufort. Archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France.

Pablo Servigne. Chercheur, spécialiste de l’effondrement.

Valérie Cabanes. Spécialiste de droit international plaidant pour la reconnaissance du crime d’écocide.

Gaël Giraud. Prêtre jésuite et économiste.

Damien Nodé-Langlois. Professeur de sciences de la vie et de la Terre.

Elena Lasida. Professeur d’économie à l’Institut catholique de Paris.

Laurent Landete. Directeur du Collège des Bernardins, membre du Conseil pontifical pour les laïcs.

Maxime de Rostolan. Fondateur de Fermes d’avenir, Blue Bees et Communitrees.

Elena de Rostolan. Avocate.

Juliette Binoche. Comédienne.

Xavier Houot. Chef d’entreprise.

Aurélien Gonthier. Agriculteur.

Jean-Pierre Denis. Directeur du développement éditorial au sein du département société, famille et spiritualité à Bayard.

Audrey Pulvar. Ancienne journaliste, désormais adjointe à la maire de Paris.

Hélène Le Teno. Ingénieure, directrice de Jean-Noël Thorel Foundation, cofondatrice de Heart Leadership University.

Raphaël Cornu-Thénard. Architecte, fondateur du mouvement Anuncio et du Congrès Mission.

(2) Penser l’écologie dans la tradition catholique, Labor et Fides, 2018, 408 p., 22 €.

 

https://www.la-croix.com/Religion/Catholiques-non-lecologie-peut-elle-rassembler-2020-09-02-1201111953?fbclid=IwAR1ZQG8QlJmqoetx1EF1I2PgtTz97zyyJ7FiJ_XljpLNtXWogwvitBvHTS0