« Il faut prendre conscience de la gravité de ce que
nous faisons à la planète »
Alors que les européennes se tiennent dimanche, le prêtre jésuite Gaël Giraud tire la sonnette d'alarme et plaide pour une véritable politique écologique.
écologie et travail
Alors que l’écologie est au cœur des débats à l’approche des élections européennes, les jésuites du CERAS tiennent un colloque à l’Unesco depuis le 20 mai. Son thème : « quel travail pour une transition écologique et solidaire ? ». Jusqu’au 22 mai, 70 chercheurs, leaders, associatifs, syndicalistes, représentants d’entreprise et élus y interviennent.
Le but : partager le fruit de leurs réflexions et de leur engagement. Parmi eux, un prêtre jésuite, économiste chef à l’agence française de développement, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des questions de transition :Gaël Giraud.
Pour cet ancien banquier, la conversion écologique est venue avec un séjour au Tchad effectué il y a une vingtaine d’années, alors qu’il était volontaire pour la Direction Catholique pour la Coopération. Professeur de maths et de physique dans un collège jésuite, il a travaillé avec les « enfants de la rue ». Il a fondé pour ces enfants un centre d’accueil, toujours en activité aujourd’hui. Au Tchad, Gaël Giraud a vu la progression « fulgurante » de la désertification du pays, un phénomène qui va avoir un « impact majeur » sur la vie des populations au sud du Tchad.
Le colloque qui se tient jusqu’au 22 mai à l’UNESCO se penche particulièrement sur la question du travail. S’il peut être source de souffrances sociales, le travail a aussi un impact écologique. Pour Gaël Giraud cela s’explique par une organisation autour de la « productivité du travail », en négligeant l’impact de notre consommation de ressources et celui des déchets que l’on rejette. Pour le prêtre, c’est avec cette « vision linéaire du monde » qui a cours depuis la révolution industrielle qu’il faut rompre, « Pour à la fois sauver la planète et sauver le travail ».
Les souffrances sociales et environnementales sont liées, explique Gaël Giraud, en citant la notion de « Bullshit jobs » développée par l’anthropologue américain David Graeber. Tous ces emplois qui n’ont « pas de sens » sont des emplois de bureaucrates « qui ne vivent que parce qu’on détruit la planète ».
« La possibilité de vivre hors-sol […] n’est possible qu’à la condition d’une destruction de l’environnement. »
Pour inverser la tendance, il faut trouver une manière de se réconcilier avec la planète et trouver une manière de travailler « respectueuse des autres, de soi-même et du monde ». Un travail sur soi qui implique de prendre conscience de la « gravité de la situation » qui va conduire la planète à se réchauffer de plusieurs degrés d’ici à la fin du siècle. Gaël Giraud explique que le réchauffement va également augmenter les concentrations de dioxide de carbone dans l’air, faisant perdre jusqu’à 20% de ses capacité au cerveau humain. Il conclut : « Tous nos enfants seront idiots à la fin du siècle ».
Autre prévision alarmante : « La banque mondiale prévoit cinq milliards de personnes qui auront la malaria en 2050 » mais aussi « deux milliards de réfugiés ». Pour l'économiste, ces perspectives signifient que pour continuer à avoir un travail décent, « il faut rompre avec ce modèle productiviste qui détruit la planète et qui nous détruit », mais aussi nous préparer au réchauffement tout en réduisant nos émissions de CO2.
« Il faut rompre avec l’idée que le travail est une marchandise privée qu’on pourrait échanger sur un marché, au même titre que l’on échange des cigarettes »
Pour Gaël Giraud, il faut considérer le travail comme un commun, comme une « ressource rare », au même titre que l’eau ou l’air. Une vision du monde qui nécessite de reformuler complètement les cadres juridiques en vigueur aujourd’hui. Exemple : une disposition non adoptée de la loi Pacte qui visait à considérer l’entreprise dans le Code Civil « comme une communauté d’utilité sociale », et plus simplement comme une propriété privée des détenteurs du capital.
pour une vraie politique écologique
Notre invité explique qu’il faut avoir à la fois « l’horizon lointain révolutionnaire » tout en « incrémentant des petits pas des aujourd’hui » par des réformes concrètes. Il appelle aussi a utiliser les « marges de manœuvre extraordinaires » que nous offrent les traités européens. Gaël Giraud donne un exemple : la règle des 3% de déficit peut être interprétée en discutant avec la Commission européenne « le périmètre sur lequel on va négocier les trois pour cent ». Il est donc possible de décider de ne pas compter « les milliards dont nous avons besoin pour les infrastructures vertes » pour « sauver la planète et nous sauver nous-mêmes ».
Si les outils sont connus, et les solutions applicables, pourquoi ne parvient-on pas à faire cette révolution ? Pour Gaël Giraud, il y a plusieurs facteurs : il estime que beaucoup de gens n’ont pas pris conscience de la « gravité de la situation », considérant l’écologie « comme un sujet marginal » ou en capitalisant de façon «cynique» sur ce sujet. Gaël Giraud évoque également les « plus puissants » qui considèrent, à tort, qu’ils pourraient mettre leurs enfants à l’abri. Il faut aussi lutter contre « l’illusion » selon laquelle « on ne peut rien faire ».
Si les actions locales, individuelles, sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes pour viser « la neutralité carbone ». Pour accomplir une véritable transition écologique, il faut que l’État s’engage pour les infrastructures vertes et les énergies renouvelables, une politique qui permettrait de créer « plusieurs centaines de milliers » d’emplois.
« La catastrophe qui est devant nous ne nous permet plus de tergiverser et d’attendre »
Alors que le thème de l’écologie est particulièrement présent dans la campagne des européennes, Gaël Giraud exprime des doutes sur la sincérité des politiques qui en parlent. Il conseille de se concentrer sur les mesures « immédiates » présentes dans les programmes des candidats pour se faire son opinion.
Face à l’angoisse provoquée par la crise à venir, le prêtre jésuite explique que l’espérance chrétienne nous dit que « l’humain est capable de se convertir envers et contre tout ». Face à des jeunes déprimés à ce sujet, Gaël Giraud leur répond « c’est de vous dont dépend l’avenir », une responsabilité importante qui impose de « chercher des alliés » dans les générations précédentes, afin de « construire ensemble la société de demain ».