PA-Environnement
Des centaines de membres de tribus autochtones du nord-est de l’Inde se hâtent de récupérer des terres dont elles ont été chassées il y a des dizaines d’années pour la construction d’un barrage hydro-électrique.i
Suite à un procès qui a duré onze ans, le peuple autochtone Larrakia, en Australie, s’est récemment vu refuser la reconnaissance de son droit tribal de propriété sur la ville de Darwin, dans le Territoire du Nord.ii
Une tribu autochtone de Bornéo (Malaisie) a mis le feu à un campement de bûcherons en avril de cette année, pour manifester sa préoccupation face aux exploitants de bois et d’huile de palme qui empiètent sur les territoires autochtones.iii
Les Mapuche de Patagonie, dans le sud du Chili et en Argentine, s’inquiètent de ce que des étrangers achètent des terres dans la région, car selon eux, cela leur interdit l’accès à de nombreuses merveilles naturelles et paralyse le développement des ressources dans une région pauvre.iv
Dans le monde entier, les peuples autochtones luttent pour la reconnaissance de leur droit à posséder, gérer et développer leurs terres, territoires et ressources traditionnels. Au plan international, leurs représentants plaident pour l’adoption de la Déclaration des droits des peuples autochtones par l’Assemblée générale des Nations Unies.
Cette déclaration – résultat de vingt ans de négociations – insiste sur le fait que le contrôle exercé par les peuples autochtones sur leurs terres, territoires et ressources leur permettra de « renforcer leurs institutions, leur culture et leurs traditions et de promouvoir leur développement selon leurs aspirations et leurs besoins ».
La sixième session de l’Instance permanente de l’ONU sur les questions autochtones, qui se tiendra au Siège de l’Organisation des Nations Unies à New York du 14 au 25 mai, débattra de ces questions. Plus d’un millier d’autochtones de toutes les régions du monde y participeront, ainsi que des représentants gouvernementaux, des agences de l’ONU, des chercheurs et des représentants de la société civile, pour exposer leurs points de vues, faire état de leurs préoccupations et suggérer des solutions pour leurs terres, territoires et ressources.
Une relation menacée
La relation que les peuples autochtones entretiennent avec leurs terres et territoires traditionnels passe pour faire partie intégrante de leur identité et de leur spiritualité et pour être profondément enracinée dans leur culture et leur histoire. Stella Tamang, dirigeante autochtone du Népal, résume ainsi cette relation : « Les peuples autochtones [...] ont un rapport intime avec la terre; l’élément fondamental, quand on veut expliquer qui ils sont, est leur lien à la terre. Ils ont des symboles clairs dans leur langue qui les relient à des endroits précis de leur territoire... Au Népal, nous avons des groupes qui ne peuvent trouver leur place spirituelle sur notre planète qu’en se rendant dans un endroit bien précis. »v
Les peuples autochtones voient une corrélation évidente entre la perte de leurs terres et des situations de marginalisation, de discrimination et de sous-développement au sein des communautés autochtones. D’après Erica Irene Daes, Rapporteur spécial des Nations Unies en 2002, « la détérioration progressive des sociétés autochtones découle de la non-reconnaissance de la relation profonde que les peuples autochtones entretiennent avec leurs terres, territoires et ressources. »
Les peuples autochtones sont également profondément conscients de la relation entre l’impact environnemental des différents types de développement sur leurs terres et l’impact sanitaire et environnemental que ceux-ci exercent sur leurs membres. Grâce à leur connaissance approfondie de la terre et à la relation qu’elles entretiennent avec celle-ci, les communautés autochtones pratiquent une gestion durable de leur environnement depuis des générations. En échange, la flore, la faune et les autres ressources dont ils disposent sur les terres et territoires autochtones leur ont fourni des moyens de subsistance et ont nourri leurs communautés.
Cependant, cette relation est de plus en plus menacée, d’après les dirigeants autochtones.
Victoria Tauli-Corpuz, dirigeante autochtone Igorot des Philippines et présidente de l’Instance permanente de l’ONU sur les questions autochtones, a déclaré que « vu l’appétit grandissant des pouvoirs publics pour une croissance économique accrue, l’exploitation insensée des territoires et ressources des peuples autochtones continue sans relâche. »vi
Les menaces qui pèsent sur les écosystèmes des peuples autochtones comprennent, entre autres, l’extraction de minerais, la contamination environnementale, le recours à des semences génétiquement modifiées, la technologie et la monoculture.
Droits aux terres et territoires : des progrès mitigés
Au cours des dernières décennies, beaucoup de pays ont procédé à des réformes constitutionnelles et juridiques pour répondre aux appels des mouvements autochtones en faveur d’une reconnaissance légale de leur droit à la protection et au contrôle de leurs terres, territoires et ressources (ainsi qu’au respect de leur langue, culture et identité, de leurs lois et institutions, de leurs formes de gouvernement et plus encore).
• L’Amérique latine a montré l’exemple et on a assisté à une réforme de la Constitution dans les pays suivants : Argentine, Bolivie, Brésil, Colombie, Guatemala, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, Equateur et République bolivarienne du Venezuela. Certains ont été jusqu’à reconnaître la nature collective des peuples autochtones (ce qui est un élément primordial du droit de propriété).vii
« Bien qu’au cours des dernières années, de nombreux pays aient adopté une législation qui reconnaît le droit de propriété collectif et inaliénable des communautés autochtones sur leurs terres, les procédures de délivrance des titres de propriété sont lentes et complexes, et dans de nombreux cas, les titres accordés aux communautés ne sont pas respectés dans la pratique. »viii
• Par exemple, en Bolivie, le peuple autochtone Aymara – qui comprend 60 à 80 pour cent de la population totale – a introduit des revendications territoriales couvrant plus de 370 000 kilomètres carrés, mais vu la lenteur du processus de délivrance des titres et le manque de fonds, environ 50 000 kilomètres carrés seulement avaient été attribués à la fin 2006.ix
Privatisation
Le Rapporteur spécial de l’ONU relevait en outre que la privatisation des terres autochtones était en hausse.
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Au Cambodge, une loi sur la propriété foncière votée en 2001 reconnaît le droit collectif des peuples autochtones à posséder leurs terres, mais malgré cela, 6,5 millions d’hectares de forêt ont été expropriés au cours de la dernière décennie au profit de grandes compagnies forestières qui en ont reçu la concession. Quelque 3,3 millions d’hectares ont été déclarés terres protégées, ne laissant aux communautés autochtones qu’un accès limité aux ressources forestières dont elles ont besoin pour survivre.
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Au Canada, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux négocient des accords avec les peuples autochtones de Colombie britannique aux termes desquels une petite partie seulement des terres traditionnelles de ces communautés sera reconnue comme réserve autochtone, ce qui permettra de privatiser le reste.
D’après la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par le Conseil des droits de l’homme, les peuples autochtones ont le droit de déterminer et d’établir les priorités et stratégies pour leur propre développement et pour l’utilisation de leurs terres, territoires et autres ressources. Les peuples autochtones exigent qu’un accord préalable, informé et librement consenti soit le principe gouvernant l’approbation ou le rejet de tout projet ou activité touchant à leurs terres, territoires et autres ressources.
Ressources naturelles
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D’après Mme Tauli-Corpuz, Présidente de l’Instance permanente de l’ONU sur les questions autochtones, la majorité des dernières ressources naturelles de la planète (minéraux, eau douce, sources d’énergie potentielles, etc.) se trouvent sur des terres appartenant aux peuples autochtones. La possession de ces ressources, leur développement ou l’accès à celles-ci restent sujets à controverse.
• En Fédération de Russie, des lois adoptées en 2001 autorisent l’appropriation des terres par des particuliers, mais les procédures d’accès à la propriété sont si onéreuses que la majorité des communautés autochtones se trouve exclue du processus. La Sibérie centrale possède de vastes réserves de pétrole, de gaz, de charbon et de métaux lourds et les sociétés russes ou étrangères sont en compétition pour l’accès à ces ressources enfouies. Cela pose problème pour les peuples autochtones des districts de Turukhansk, Taimyr et Evenk dans le Territoire de Krasnoyarsk.x
Le problème des ressources forestières est particulièrement aigu. D’après un récent rapport de l’ONUxi, quelque 60 millions d’autochtones dans le monde dépendent presque entièrement de la forêt pour leur survie. Des communautés autochtones sont régulièrement expulsées de leur territoire sous prétexte de créer des zones protégées ou des parcs nationaux. Selon le rapport, le déplacement forcé des peuples autochtones loin de leurs forêts traditionnelles, suite à l’adoption de lois favorisant les intérêts des sociétés commerciales, joue un rôle majeur dans l’appauvrissement de ces communautés.
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L’Indonésie abrite 10 pour cent des ressources forestières du monde, et celles-ci fournissent des moyens de subsistance à environ 30 millions d’autochtones. Près de 58 des 143 millions d’hectares de territoires autochtones classés comme forêts d’Etat sont entre les mains de sociétés forestières et le reste est en train d’être converti en plantations commerciales.
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En Afrique de l’Est et dans le Bassin du Congo, la création de zones forestières protégées a provoqué le déplacement de dizaines de milliers d’autochtones et menacé leur économie de subsistance.
Tirer profit des connaissances des générations qui nous ont précédés
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Ces dernières années, la question des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles a gagné en importance dans les préoccupations internationales, les peuples autochtones exprimant leur inquiétude face à l’expansion de la biotechnologie et de la bioprospection.
Citons quelques exemples de connaissances autochtones traditionnelles exploitées dans un but commercial :
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Un élément d’une plante appelée Hoodia, que les peuplades San d’Afrique du Sud utilisent pour couper la faim et la soif pendant les expéditions de chasse, a été breveté en 1995 par le Conseil sud-africain pour la recherche scientifique et industrielle (connu sous l’acronyme anglais de CSIR). La licence d’exploitation a ensuite été accordée à une multinationale pharmaceutique pour le développement d’une pilule amaigrissante. Après que les San eurent menacé de poursuivre le CSIR en justice pour leur avoir volé leurs connaissances traditionnelles, les deux groupes sont parvenus à un accord selon lequel les San recevraient une part des bénéfices que produira la vente du médicament.xii
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Le poison d’une grenouille qui constitue un meilleur antidouleur que la morphine et qu’utilisent des communautés autochtones du Brésil est la cible de plus de 20 demandes de brevet en Europe et aux Etats-Unis.xiii
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Deux chercheurs indiens de l’Université du Mississippi se sont vu retirer le brevet qui leur avait été accordé pour « l’utilisation du curcuma dans la cicatrisation des blessures » après que le Conseil indien de la recherche scientifique fit valoir que le curcuma est employé depuis des milliers d’années à des fins médicinales et que son utilisation n’a donc « rien de nouveau ».
Deux questions cruciales sont au centre de ce débat :
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l’obligation, pour des acteurs extérieurs, d’obtenir l’accord préalable, informé et librement consenti des peuples autochtones pour l’utilisation de leurs connaissances traditionnelles et/ou matériaux génétiques
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la rédaction d’accords pour le partage des profits tirés de tels développements.
La Convention sur la diversité biologique – qui insiste sur la nécessité de promouvoir et de préserver les connaissances traditionnelles – définit les principes qui gouvernent l’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles et le partage des bénéfices qui en découlent, et des efforts ont été faits pour veiller à ce que ces principes soient incorporés dans le régime international de la propriété intellectuelle.
i BBC News Online, “Land reclaim dispute over drying dam”, 3 April 2007,
http://news.bbc.co.uk/2/hi/south_asia/6509771.stm
i ABC Radio Australia, “Australia's Larrakia vow legal fight”, 5 April 2007,
http://www.radioaustralia.net.au/news/stories/s1891204.htm
i International Herald Tribune, “Tribesmen defend torching loggers’ camp in Malaysia’s Borneo, 24 april 2007, http://www.iht.com/articles/ap/2007/04/24/asia/AS-GEN-Malaysia-Tribes-vs.-Timber.php
i International Herald Tribune, “Billionaires buying up great swaths of one of the last wilderness areas”, 3 April 2007, http://www.iht.com/articles/2007/04/02/bloomberg/bxland.phpi Cultural Survival and the Indigenous Peoples’ Caucus. “Our Land, Our Identity, Our Freedom” Cultural Survival Voices Volume 5, Issue 2 (March 2007)
i http://www.unpo.org/article.php?id=956
i José Alwyn. “Land and Resources” Cultural Survival Quarterly Issue 30.4 (December 2006)i UN Special Rapporteur on the situation of human rights and fundamental freedoms of indigenous peoples. Report to the Fourth Session of the UN Human Rights Council, 27 February 2007 http://www.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/4session/reports.htm
i Cultural Survival Quarterlyi UN Special Rapporteur on the situation of human rights and fundamental freedoms of indigenous peoples. Report to the Fourth Session of the UN Human Rights Council, 27 February 2007
i ibid
i Commission on Intellectual Property Rights. 2002. Report of the Commission on Intellectual Property Rights : Integrating Intellectual Property Rights and Development Policy, London.i Carolina Galvani. “Intellectual property rights reach indigenous communities in the Amazon” http://news.mongabay.com/2007/0321-galvani.html (March 21, 2007)