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Transition Energétique

« La Transition énergétique, clef de notre prospérité », par Gaël Giraud...

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« La Transition énergétique, clef de notre prospérité », par Gaël Giraud

 

Gaël Giraud, La Transition énergétique, clef de notre prospérité

Membre associé à PSE – Directeur de recherches CNRS, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Depuis janvier dernier, le Conseil national du débat sur la transition écologique (CNDTE), appuyé d’un groupe pluraliste d’une cinquantaine d’experts, travaille sur la manière de faire bifurquer notre société construite depuis les révolutions industrielles sur la consommation d’énergies fossiles vers une économie décarbonée. Une série de recommandations a été produite dans ce sens et rendue publique en juillet (1), dont plusieurs demandent à être affinées : les chiffrages macro-économiques des 4 scenarii à l’étude (dont les scenario Negawatt) doivent être testés et confirmés. Le nombre de créations d’emplois nettes, en particulier, est évidemment décisif. Mais l’intérêt de ces recommandations est déjà d’avoir rendu possible un certain nombre de prises de conscience (2).

La première d’entre elles concerne la dépendance des économies industrialisées aux énergies fossiles, bien plus forte que ne le suggère le coût apparemment modeste de l’énergie dans le budget des pays. Ce dernier oscille en effet entre 5 et 10 % depuis le contre-choc pétrolier, dans la plupart des pays de l’OCDE. On pourrait en conclure que l’élasticité de la production d’une économie industrialisée à l’égard de l’énergie est faible (3). Il est vrai qu’à l’équilibre, cette élasticité devrait être égale à la part du coût de l’énergie dans le PIB. On est alors tenté d’en conclure qu’une altération de la consommation d’énergie induirait une modification modeste du PIB d’un pays industrialisé. De sorte que nous pourrions envisager avec sérénité la possibilité du plafonnement de notre approvisionnement physique en pétrole.

"(...) La dépendance 

des économies industrialisées

aux énergies fossiles

est bien plus forte

que le suggère le coût

apparemment modeste

de l'énergie dans le budget

des pays"

Pourtant cet argument rassurant repose sur une hypothèse irréaliste : l’absence de contrainte technologique (indépendante de la fonction de production) intervenant dans la maximisation du profit des entreprises productrices de pétrole. A contrario, en présence de contraintes complémentaires, l’égalité qui unit l’élasticité PIB/énergie au ratio coût énergie/PIB est déformée par des « prix cachés » (shadow prices), lesquels rendent parfaitement compatible un coût de l’énergie faible avec une élasticité élevée (4). Or de telles contraintes sont légion, qu’elles soient d’ordre géologique ou géopolitique. Si l’on ajoute à cette remarque le fait que le prix courant d’un combustible aussi déterminant que le pétrole est fixé, non par la « loi de l’offre et de la demande », mais par un mécanisme proche de celui du LIBOR (5) – dont le caractère facilement manipulable est aujourd’hui avéré, on comprend qu’il est temps de réexaminer la dépendance à l’énergie des économies industrialisées.

L’économétrie des séries de consommation d’énergies primaires en volume (et non plus en prix) fait apparaître de manière robuste une élasticité comprise entre 0,3 et 0,7 selon les pays de l’OCDE et les périodes, et tournant en moyenne autour de 0,6 – bien supérieure, donc, au 0,08 souvent adopté dans les calibrations des modèles macro-économiques (6). Cette dépendance, demeurée invisible pendant de nombreuses années, pourrait bien être l’une des clefs d’explication de l’atonie de la croissance des pays industrialisés depuis trois décennies. Car, en dépit du contre-choc pétrolier, ni le bassin atlantique nord, ni le Japon n’ont retrouvé après les années 1980 le niveau de croissance de la consommation d’énergies fossiles par habitant qui prévalait avant les deux premiers chocs pétroliers. Et si le « progrès technique », tant vanté comme moteur de la croissance, dissimulait, pour une large part, l’augmentation (devenue aujourd’hui impossible) de la consommation d’énergies fossiles par habitant ?

Cela signifierait qu’en l’absence de transition visant à libérer nos économies de leur dépendance à l’égard du carbone, compter sur le progrès technique pour ressusciter de la croissance dans un contexte où le pic du pétrole conventionnel a déjà été dépassé depuis 2006, est un pari audacieux. Il appartient au politique, aujourd’hui, d’en tirer la détermination nécessaire pour amorcer ce grand projet de société qu’est la transition énergétique. Les chantiers sont connus : rénovation thermique du bâtiment ; éco-mobilité ; « verdissement » de nos techniques industrielles et agricoles. Des solutions de financement existent, et ont été proposées par le CNDTE.

Qu’attendons-nous ?

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(1) Synthèse disponible sur le site du président du Comité des experts pour le débat : http://alaingrandjean.fr/

(2) Cf. Le Monde, 18 sept. 2013, http://www.gaelgiraud.net/wp- content/uploads/2013/04/le-monde-18-09-2013.pdf

(3) Blanchard, O. et J. Gali (2007) The Macroeconomic Effects of Oil Shocks : Why are the 2000s’ So Different from the 1970s’ ? NBER Working Paper No. 13368.

(4) Kümmel, R., J. Schmid, R. U. Ayres, et D. Lindenberger Cost Shares, Output Elasticities, and Substitutability Constraints, EWI Working Paper, No 08.02. cf. aussi Kumhof, M. et al. (2012) The Future of Oil : Geology versus Technology, IMF WP/12/109

(5) http://money.cnn.com/2013/05/17/news/economy/oil-price-libor/ index.html

(6) Abi Rafeh, R., G. Giraud et Z. Kahraman (2013) , How deeply does growth depend on energy ? A Reexamination of energy output elasticity, CES WP (forthcoming).

 

http://www.parisschoolofeconomics.eu/fr/actualites/la-transition-energetique-clef-de-notre-prosperite-par-gael-giraud/