Renforcer et connecter la recherche en Afrique, la réponse du Burkina Faso
Dans son écrasante majorité, la recherche sur l’Afrique ne se fait ni en Afrique, ni par des Africains. Seuls 2,6 % des publications scientifiques recensées au plan mondial sont issues de la recherche africaine, et l’Afrique ne compte que pour 1,3 % des dépenses mondiales de recherche et développement. Le choix des thématiques de recherche, la construction des modèles théoriques et des méthodologies empiriques échappent souvent aux acteurs nationaux et se retrouvent imposés par des organisations internationales et des structures de recherche de pays du Nord. Lorsque les acteurs académiques africains sont impliqués, c’est fréquemment en assistance des travaux commandités et pilotés de l’extérieur au gré des modes diffusées par les grandes universités du Nord.
Encourager le potentiel de la recherche africaine
Pourtant, de réelles capacités de recherche existent au niveau national : 188 000 chercheurs africains sont présents sur le continent.Mais ces capacités sont fréquemment dispersées et peu visibles. La production de connaissances (publications, études, thèses, mémoires…) fait rarement l’objet de débats publics. Les espaces de recherche sont cloisonnés. Les interactions avec les décideurs politiques et les acteurs publics nationaux sont peu fréquentes. Résultat : les partenaires internationaux du développement préfèrent le plus souvent s’appuyer sur des structures académiques du Nord pour piloter leurs programmes de recherche.
Cette situation fragilise considérablement les structures d’enseignement supérieur africaines. Elle les empêche de construire un agenda national de recherche sur le long terme. Ainsi, les résultats de la recherche nationale sont peu appropriés localement. Les décideurs africains sont souvent réduits à acheter des activités de conseil et de recherche à l’extérieur.
De surcroît, les dépenses de recherche (publique et privée) n’ont représenté que 17,9 US$ par habitant en Afrique (12,4 US$ en Afrique subsaharienne) contre 148 US$ en Asie (30,5 US$ en Asie du Sud) et 771 US$ dans les pays de l’OCDE.Ce sous-financement chronique de l’enseignement supérieur et de la recherche en Afrique conduit couramment les chercheurs africains à se transformer eux-mêmes en consultants, à partir dans des structures de recherche du Nord ou à quitter définitivement la recherche. Le niveau des cours donnés dans les universités pâtit souvent de cette désaffectation. Les structures privées d’enseignements supérieurs (qui, pour la plupart, ne font pas de recherches) sont en fort développement pour les classes moyennes alors que les catégories aisées envoient leurs enfants étudier à l’étranger.
Développer la recherche au niveau national, c’est reprendre le contrôle sur les savoirs locaux. Comme partout, les pays d’Afrique ont besoin de s’appuyer sur de l’expertise et de l’innovation produites localement pour répondre aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux, souvent spécifiques, auxquels ils sont confrontés. Les acteurs nationaux, publics comme privés, que nous rencontrons dans le cadre des dialogues stratégiques menés par l’AFDavec ses partenaires, sont demandeurs d’une recherche nationale solide construite sur le long terme et mieux connectée aux décideurs. C’est la base de politiques nationales bien menées.
Les apports de la recherche en éducation : le projet Web Edu TV
Renforcer la recherche africaine via le soutien à des réseaux nationaux et le lien avec les décideurs
Une expérience au Burkina Faso dans le domaine de l’éducation offre des perspectives intéressantes. Créé en 1999, l’Atelier de Recherche sur l’Éducation au Burkina Faso (AREB)est un réseau de recherche spécialisé dans l’éducation qui a su se positionner en interlocuteur de premier plan sur les politiques éducatives burkinabés. Pluridisciplinaire, il rassemble l’ensemble des structures de recherche et des chercheurs actifs sur le sujet de l’éducation au Burkina Faso (Institut des Sciences des Sociétés, Institut Supérieur des Sciences de la Population, Université de Koudougou…).
L’AREB s’est fortement engagé dans la production et la diffusion des connaissances scientifiques sur les différentes dimensions de l’éducation. Avec le soutien des ministères de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche burkinabés et accompagné par un ensemble de partenaires (AFD, IRD, NORRAG) et ESSA), l’AREB a fait un inventaire exhaustif de la recherche burkinabé sur le sujet de l’éducation dont les résultats ont été mis en ligne. Depuis 2000, une trentaine de chercheurs et d’enseignants chercheurs ont été recensés et plus de 1 000 références bibliographiques ont été identifiées.
Fort de cette expertise singulière et même si beaucoup reste à faire pour l’inscrire dans la durée, l’AREB participe à la conception et à la mise en œuvre des politiques éducatives au Burkina Faso. Tous les mois, des rencontres entre chercheurs et acteurs publics et privés permettent d’améliorer la prise en compte de la recherche dans les programmes et politiques nationaux et, inversement, d’orienter les questions de recherche vers des sujets proches des enjeux locaux.
Les 29 et 30 novembre 2017, se tiendra une conférence nationale sur « l’éducation au Burkina Faso : progrès, défis actuels et perspectives » à Ouagadougou. L’AREB y présentera ses activités et notamment un ouvrage collectif comportant les contributions d’une vingtaine de chercheurs burkinabés de différentes disciplines. Des chercheurs d’autres pays de la sous-région participeront à cette conférence. La réussite de ce réseau – qui fonctionne pourtant avec des moyens très modestes – pourrait donner des idées aux chercheurs qui souhaitent construire des initiatives similaires.
Quelle recherche développer en éducation : le point de vue de Dan Wagner
L’appui à l’émergence de réseaux nationaux de recherche en Afrique est essentiel pour favoriser la constitution d’une recherche proprement africaine. Dans cette optique, quelques principes d’action sont fondamentaux : s’appuyer sur les dynamiques nationales (sans s’y substituer), favoriser la pluridisciplinarité et le décloisonnement, promouvoir les ponts entre la recherche académique et l’action publique et encourager les fertilisations croisées (Sud-Sud, Sud-Nord, Nord-Sud). Les sciences sociales, souvent délaissées alors même que ce sont elles qui peuvent faire la différence dans le dialogue national sur les politiques publiques, mériteraient un soutien particulier.