L’article 714 du code civil français et les choses communes : enjeux contemporains.
L’article 714 du Code civil français dispose qu’ « il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d’en jouir. »
L’article 714 pose le principe de l’existence de choses communes (ou res communis), c’est-à-dire des biens qui, par nature, ne peuvent être appropriés par quiconque et dont l’usage est ouvert à tous. Il s’agit d’une exception au principe général selon lequel toute chose est susceptible d’appropriation privée (art. 711 et suivants du Code civil).
L’article 714 a longtemps été interprété de manière restrictive, comme une simple exception technique. Cependant, la doctrine récente et la jurisprudence lui reconnaissent une portée normative croissante, notamment en matière de protection de l’environnement et de gestion des ressources naturelles partagées.
Depuis la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016 2016 qui a introduit, à l’article L. 110-1, la notion de biodiversité et celle d’êtres vivants comme partie du patrimoine commun de la nation, l’article 714 est de plus en plus invoqué pour fonder des droits d’usage collectifs et des obligations de préservation des écosystèmes. Sur le plan doctrinal, un auteur comme Marie-Pierre Camproux Duffrène, propose de le considérer comme une porte d’entrée juridique vers la théorie des communs, c’est-à-dire une gestion collective et durable des ressources dans un contexte d’urgence écologique. Sur cette base l’auteur distingue d’une part les communs naturels universels (eau libre, biodiversité, écosystème planétaire) qui correspondent aux choses communes de l’article 714 et ne peuvent faire l’objet d’exclusivité car necessaires à la suvie des générations présentes et futures d’où un droit d’usage pour chacun et commun à tous et d’autre part, les communs spatialisés tels que décrits par la politologue et économiste américaine, Elinor Ostrom, à savoir un fleuve, une forêt ou un écosystème local pour lesquels droit de propriété et droits d’usage peuvent se superposer. S’agissant du régime juridique applicable, l’auteur pose la question de l’articulation entre ces deux catégories de communs. Elle relève que dans les deux cas, la propriété n’est pas exclue, mais réduite en fonction de la nécessité de tous de bénéficier des utilités environnementales, et réduite quant aux objets sur lesquels elle peut porter et quant à son ampleur. L’Etat peut « contribuer à la bonne gouvernance de ces communs…ne serait-ce qu’en favorisant une application effective et adaptée de l’article 714 du Code civil ». Dans ce sens, l’article 714 pourrait donc devenir un véritable outil de protection des communs naturels.
De son côté, la jurisprudence rappelle régulièrement que l’usage des choses communes doit rester non exclusif et respectueux de l’intérêt général. Par exemple, l’eau d’un cours d’eau non domanial est une chose commune, mais son usage par un riverain ne peut pas priver les autres usagers de leur droit d’accès ou de jouissance. Une atteinte à l’usage commun d’une chose commune pourrait engager la responsabilité civile de son auteur, sur le fondement des articles 714 et 1240 du Code civil français.
L’effectivité de l’article 714 comme outil juridique de protection des communs naturels dépendra de son interprétation par les juges et le législateur à l’occasion des nouvelles affaires qui se présenteront. Les débats doctrinaux à venir et l’évolution de la jurisprudence conduiront sans doute à faire de ce dernier une base juridique solide de la reconnaissance des communs en droit français.
Lire l’article de Marie-Pierre Camproux-Duffrène : « Repenser l’article 714 du Code civil français comme une porte d’entrée vers les communs », dans Revue interdisciplinaire d’études juridiques 2018/2 (Volume 81), p. 297 à 330.
https://droit.cairn.info/revue-interdisciplinaire-d-etudes-juridiques-2018-2-page-297?lang=fr
Margaux Castel