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Université d'été-la Sainte B

Comment la scolastique a façonné l’Europe ?

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Par MC

 

Comment la scolastique a façonné l’Europe ?

 

 

Fr. Serge-Thomas Bonino, OP.

ENS, docteur en théologie

 

Auteur d’une « Brève histoire de la scolastique au moyen-âge »et de « Les anges et les démons. Quatorze leçons de théologie catholique »

Président de l’Académie pontificale de Saint Thomas d’Aquin à Rome, il enseigne l’histoire des doctrines médiévales.

Secrétaire général de la commission théologique internationale depuis 2011 (mandat renouvelé en 2014), consulteur de la congrégation pour la doctrine de la foi.

 

L’Europe est un concept historique et culturel, qui a pris forme au Moyen-Âge.

 

L’historien Jacques Le Goff s’est interrogé sur la question de savoir si l’Etat est né au Moyen-Âge. L’héritage médiéval est le plus important. En quoi la scolastique comme forme intellectuelle a t’elle contribué à façonner l’Europe? En quoi le mot scolastique est-il une ressource disponible pour le présent, l’avenir de l’Europe culturelle?

 

Comment définir la scolastique?

  • moment culturel?
  • Essence transhistorique?
  • Méthode?
  • Esprit?

C’est la première étape à franchir.

 

Le dictionnaire Larousse obscurcit la question en définissant la scolastique comme un enseignement philosophique du Xème au XVème siècle, liant les dogmes chrétiens.

 

Cette définition soulève des questions.

 

Peut-on restreindre la scolastique à la philosophie? Non, car il y a un droit scolastique et une médecine scolastique.

 

Peut-on limiter la scolastique à l’Europe? La scolastique est caractéristique de l’occident latin, mais il y a une scolastique byzantine.

 

Peut-on limiter la scolastique au X-XVème siècle? C’est arbitraire. La scolastique ne disparait pas au XVIème siècle. L’école de la scolastique, qui permet l’émergence du droit international survit jusqu’au XVIIIème siècle. Elle domine dans les élites au XVIème siècle.

 

Au Xème siècle, la scolastique porterait sur les études théologiques. C’est faux, car l’articulation foi-raison est une préoccupation de la scolastique.

 

La scolastique se veut une méthode scientifique.

3 critères cumulatifs la définissent :

1/ le lien avec l’université médiévale : schola signifie école et également enseignement. Dans les universités jusqu’au XIIIème siècle, la scolastique est une méthode intellectuelle d’enseignement et le fruit de cet enseignement. Thomas d’Aquin, et Guillaume d’Ocan y ont eu recours.

2/ Cette méthode se veut scientifique : elle s’applique à la grammaire, la dialectique, la conception aristotélicienne de la science, à l’enseignement de la logique, des mathématiques, des sciences.

3/ La scolastique est mise au service d’un projet culturel chrétien.

Toutes les ressources de la raison sont mises au service de l’intelligence du mystère chrétien.

Dans le Trinitate, traité de théologie de Boes, père de la scolastique, précise la notion philosophique indiquée dans le dogme de la christologie : la « personne ». Il précise la catégorie d’Aristote.

 

Saint Thomas d’Aquin commente via les autorités que sont les pères et la tradition. Il développe des arguments compris comme des raisonnements. Saint Ambroise et Saint Hilaire suivent la voie des autorités. De Boes suit la voie du raisonnement.

 

Critique de la pensée scolastique.

 

Au XIIème siècle, les écoles urbaines développent les divisions de la pensée chrétienne.

Deux univers culturels sont à distinguer : le cloitre et l’école.

Abelard est l’intellectuel pro scolastique. Saint Bernard est un intellectuel monastique.

La théologie monastique se redéfinit par rapport à un passé scolastique. La théologie s’élabore dans les monastères, puis dans les écoles cathédrales.

 

Au XVIème siècle, il y a feu croisé des réformateurs. Luther écrit un traité contre la scolastique. Néanmoins, la théologie protestante est une théologie scolastique. 

 

L’Humanisme est un modèle culturel alternatif, qui construira la substitution à la théologie scolastique.

 

Le collège de France est le lieu des humanistes, qui s’opposent à l’université.

 

Dans « l’Eloge de la folie » (1511), Erasme fait un portrait au vitriol de la scolastique et oppose le mandarin universitaire à l’humaniste qui médite loin de l’université en lisant Cicéron et  Virgile.

Au Moyen-Âge, l’intellectuel enseigne. Au XVème siècle, l’intellectuel humaniste est dans un lieu clos, il lit seul. Pour les humanistes, l’axiome socratique « connais-toi toi même » a été négligé. Ils dénoncent l’aristotélisme, armature de la scolastique et redécouvrent Platon au XIIIème siècle, que l’on pense plus proche du christianisme que Aristote.

 

Ceci conduit à la redécouverte des Ecritures, avec un projet anti-scolastique à Paris.

 

II/ Définition de la scolastique

 

Au XIIIème siècle, Pierre Le Chantre, définit dans les conclusions d’un maître de la scholastique les composantes de la scolastique :

-      commenter (legere)

-       disputer (dialectique)

-      prêcher

Ces trois exercices doivent être menés ensemble.

 

1/ Le commentaire.

 

Le commentaire et la prêche permettent de mettre en contact avec la Révélation. Cette Révélation ne pouvant être que déformée et détruite, le commentaire permet de garder contact avec elle. C’est la matrice de la culture médiévale. Dieu entre en relation avec l’Homme par la Parole.  Le Logos absolu est descendu dans les mots.  Le Verbe est descendu dans les mots (voir saint Paul). L’étude des textes, où il y a la parole de Dieu est un exercice spirituel, une forme de prière. Au Moyen-Âge, on étudie la médecine par la lecture des textes d’Hippocrate et de Galien. On y trouve un équilibre entre l’enracinement dans le particulier et l’ouverture à l’universel. Le commentaire donne place à la tradition et à la raison. Il condense la culture chrétienne. Le christianisme ne crée pas. Le sens est donné. Pour les Lumières l’homme crée son propre sens. Le primat du commentaire renvoie implicitement à une anthropologie.

 

La pensée humaniste devient pleinement humaniste, quand elle donne à l’homme une tradition culturelle. Cette entreprise personnelle n’est pas solitaire. La recherche de la Vérité est une démarche commune et sociale. La dimension sociale de la vie intellectuelle n’est pas diacronique (historique). C’est le projet de l’encyclopédie.

 

Recourir à un maître se traduit par un rapport interpersonnel avec la confiance qui créé du lien. La vie intellectuelle est une œuvre collective. La structure de la pensée traditionnelle décide de l’idée que la Vérité nous précède. Elle n’est pas à créer. Grâce au commentaire, s’élabore un savoir original s’appuyant sur la tradition. Le commentaire permet tradition et nouveauté.

 

2/ La dispute.

 

Le commentaire n’interdit pas l’originalité.

Le lecteur jusqu’au XIIème siècle est passif. Il transmet la pensée des pères de l’Eglise. Dans le commentaire, il y avait des conflits, par exemple entre Saint Thomas et Saint-Ambroise. Pierre Abelard suit les cours de saint Anselme de Lens, qui ne sait pas répondre à ses questions.

 

La Lectio – quartio est un problème rencontré dans le commentaire. La dispute est un exercice autonome.

 

III/ Scolastique et unité culturelle de l’Europe.

 

Paul VI a proclamé saint Benoît patron de l’Europe.` Le monachisme bénédictin a contribué à la création d’une unité culturelle en Europe.

 

Le monachisme bénédictin est une institution supranationale de la chrétienté, non liée à un pays particulier, assurant l’unité de l’espace culturel européen.

 

Avec le protestantisme, un lien est recherché hors religion, dans le rationalisme, car la religion est conflictuelle. Cela permet l’émergence du droit naturel, de l’idée de l’Etat, qui coexistent avec la religion, puis s’opposent à la religion. 

 

Au XIIIème siècle, il existe deux institutions de chrétienté : l’université et les ordres mendiants, qui renforcent l’unité chrétienne.

 

L’université créé un réseau intellectuel avec une langue commune le latin et des références communes.

 

Par l’unité, se fait l’intégration européenne avec au XIVème siècle, les universités de Prague, Vienne et Cracovie.

 

Mais il existe une tension entre sa vocation universitaire et les particularismes nationaux.

 

Les ordres mendiants, sont les effets et les causes du réveil, à l’origine de l’évangélisation au XIIIème siècle. Ils tiennent un réseau spirituel et intellectuel.

 

A titre d’exemple, Saint-Thomas est formé à l’université de Naples, « ultra laïque », où il est en contact avec les sciences et l’Islam : il y apprend l’aristotélisme. Puis, il part à Paris. En 1248, il accompagne Albert Le Grand, premier théologien allemand à Cologne. Celui-ci marque l’entrée de l’Allemagne dans l’histoire de la culture européenne avec un saut qualitatif dans l’histoire de la structure éducative en Allemagne.

 

De retour à Paris, il devient maître en théologie et est envoyé en Province pour faire rayonner la culture. Il y donne une formation chrétienne, notamment à Dante, fondateur de la ligue italienne.